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TOUBIB

Antoine PAGE - documentaire France 2024 1h53mn -

Du 28/08/24 au 17/09/24

TOUBIB« Pour l’instant je pense que ça va aller quoi… » On est en 2010, Angel Page a 18 ans, et il est tout juste bachelier. Installé devant un bureau, face à la caméra de son grand frère Antoine, il se gratte la tête. « Après faut voir si je tiendrais plus que deux mois quoi… C’est ça le problème… », complète le petit frère, le regard flottant. Demain c’est sa rentrée en première année de médecine, et il vient d’accepter la proposition de son frangin réalisateur : le filmer pendant tout son cursus d’études. De cette première séquence, comme sortie d’une idée lancée entre la poire et le fromage à la table familiale le soir même, va découler un projet égrené sur douze ans.

Produit par la société indépendante d’Antoine Page – la Maison du Directeur – avec le charme du documentaire au long cours qui recherche l’universalisme dans l’intimité, Toubib donne à voir le passage du temps à l’échelle humaine, un parcours pendant lequel le corps change et la vision du monde s’étoffe. Lui qui a déjà posé son regard de documentariste sur des artistes, des ados, des soixante-huitards, ou des vieilles dames, il tente là de s’approcher d’un visage connu qui amorce sa mue en quittant le nid.
Au fil des bachotages, des examens, des nombreux stages dans différents services, des missions à l’étranger, de l’externat, de l’internat, mais aussi des remplacements de médecin en ville ou à la campagne, la jeune chevelure ébouriffée d’Angel se clairsème, les cernes se creusent, les questionnements s’affinent. Même les petits frères vieillissent un jour.

Dans ce document monté chronologiquement, la construction à tâtons est double et le résultat semble intimement lié à la relation filmant-filmé. Non loin de cette idée, on pourra penser au rapport soignant-soigné.
Le grand frère, planqué derrière sa caméra, semble chercher une place de simple observateur, qui suit un personnage engagé dans un processus. Il récolte alors pudiquement des points d’étape, sans prévoir a quoi ressemblera le film, il nous donne des nouvelles d’Angel, tente de savoir où il en est et se raccroche aux faits. Le petit, lui, successivement, se plonge dans les apprentissages théoriques, manque de sommeil, arpente les couloirs d’hôpitaux, découvre les blocs opératoires, les cabinets de consultation, et donc la relation aux patients, dont il cherche sans talent inné les veines sur les bras pour poser des perfusions… Dans cette grande masse de connaissances à ingurgiter, un rythme parfois effréné, et un monde médical qui peut apparaître comme froid et technique pour le commun des mortels, les plans fixes d’Angel face caméra ponctuent le récit de ses états d’âme et de ses moments d’homme en devenir (premier appart, petite amie…).
En nous permettant de jeter un œil dans les coulisses et les incertitudes de la médecine, en suivant un humain besogneux et humble qui tisse une réflexion politique sur sa profession, Toubib nous autorise à faire descendre de son piédestal la figure de la blouse blanche toute savante. Au-delà de l’archive familiale précieuse pour les Page, si ce documentaire place celui qui est filmé au cœur, il glisse petit à petit vers l’intérêt pour celui qui est soigné.

De ses premiers pas en anatomie à son engagement dans un centre de santé communautaire au Nord de Marseille, Angel nous livre, à travers ses choix et ses réflexions, une vision à rebours de la privatisation du système de santé. Médecin généraliste en construction, il aspire à plus de justice sociale dans son domaine et se questionne : dans une époque fournie d’innovation et de technologies, de quoi aurait encore besoin la médecine pour avancer et s’améliorer ? Sa réponse est à découvrir dans le film. On apprendra aussi au passage pourquoi a-t-il voulu devenir médecin, et bien sûr, comment. Un simple et doux mélange entre logique et humanité.